Apprendre le portugais lors d’un séjour au Brésil
Un pas vers l’autre
Jeudi 6 novembre 2014
Dans un monde où il suffit de bredouiller quatre mots d’anglais pour se faire comprendre par à peu près n’importe quel étranger, est-il encore utile d’apprendre la langue d’un pays dans lequel on ne restera que quelques mois ? Les intérêts sont-ils uniquement éthiques et folkloriques ? Les efforts à fournir pour comprendre les autochtones dans leur langue maternelle sont-ils disproportionnés ?
D’abord, précisons le contexte. Je suis un Français qui n’a jamais quitté la France. Pendant longtemps, ma connaissance des langues étrangères s’est limitée à un peu d’anglais et un peu d’allemand, péniblement appris au lycée. Ensuite, il y a eu la découverte de la chorale Auberbabel et de l’association du même nom. J’y ai surtout appris à chanter dans différentes langues et à repérer les différences de prononciation : couleurs des voyelles, accents toniques, R roulés ou pas, etc.. J’ai ensuite pratiqué un peu de russe et un peu d’espagnol avec des méthodes Assimil. Précisons aussi que je suis encore jeune (31 ans) et que, de par mes différentes activités, j’ai une mémoire qui fonctionne bien.
Avec Sandrine, ma compagne, nous avons décidé de partir à la découverte de l’Amérique du Sud. Notre bateau devant débarquer en Guyane Française, il nous apparaissait logique de commencer notre aventure avec le Brésil. On y parle surtout portugais, même si quelques langues indigènes ont survécu ici et là. La prononciation du portugais est très différente de celle pratiquée au Portugal, quelques mots sont différents et, détail important, la deuxième personne du singulier et du pluriel n’est pas utilisée (sauf dans certaines régions, comme le Nord, le Nordeste et le Rio Grande do Sul).
Préparation
L’initiation à l’espagnol et au portugais fait partie de nos préparatifs. Sandrine se concentre sur l’espagnol pendant que je me lance dans le portugais. J’entame mon l’Assimil « Portugais du Brésil » environ deux mois avant notre arrivée au Brésil. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette méthode, disons qu’il s’agit d’apprendre la langue par le biais de dialogues, classés par difficulté croissante. Dans un premier temps (phase passive), on se contente d’écouter et lire les dialogues, ainsi que les remarques de grammaire. Ensuite (phase active), on reprend chaque dialogue, en essayant de retrouver le portugais à partir du français. Pour que l’apprentissage soit efficace, chaque leçon doit être quasiment sue par cœur. Il est demandé de pratiquer quotidiennement (une ou deux fois par jour).
Autant être franc, l’Assimil « Portugais du Brésil » est le plus mauvais que j’ai eu à pratiquer. Par exemple, les phrases « Je n’ai pas compris » et « Peux-tu parler lentement ? » n’y figurent pas ! On verra plus tard les problèmes que ça me posera. Les leçons sont ennuyeuses, les dialogues très plats et j’ai l’impression trouble de ne pas progresser dans ma compréhension orale.
Pour compléter ma préparation, j’achète un dictionnaire de poche « Brésilien/Français » [1].
Premiers échanges avec les brésiliens : le choc !
Coup de chance, à Cayenne, en territoire francophone, nous sommes hébergés chez quelqu’un (Marc) qui accueille une brésilienne (Jane) en même temps que nous. Elle parle un peu français. Je m’entraîne un peu en lui posant quelques questions simples (« où habites-tu ? », « pourquoi as-tu quitté le Brésil ? »). Je ne comprends pas toujours ses réponses mais je hoche la tête poliment. Je commettrai cette erreur de nombreuses fois par la suite. Je tenais une brésilienne qui parlait français, j’aurais dû lui demander tout de suite de m’apprendre à dire des choses comme « comment s’appelle cet objet en portugais ? », « peux-tu répéter ? » ou plus simplement « je n’ai pas compris », que je ne sais toujours pas dire.
Nous arrivons au Brésil par la ville d’Oyapoque, dans le Nord du Brésil. C’est-à-dire précisément là où la langue est la plus différente du reste du Brésil. Des brésiliens rencontrés à Brasília nous confesseront eux-aussi avoir du mal à comprendre l’accent de cette partie du pays.
À Oyapoque, c’est assez simple. Nous avons d’abord besoin de trouver le bureau de la police fédérale, puis la banque Banco do Brasil et enfin la gare routière (rodoviária). Mes questions pour nous orienter sont bien comprises. Je repère sans trop de problème les mots ezquerda (gauche), direita (droite), na frente (en face), dobrem (tournez), etc. Et les gestes aident à la compréhension. À la rodoviária, je n’ai pas de problème pour acheter les billets.
Dans le bus, au petit matin, le chauffeur s’arrête et nous annonce quelque chose que nous ne comprenons pas. On voit autour de nous des gens se lever, mais pas tous. Dans le doute, nous restons dans le bus. On voit la plupart des voyageurs entrer dans une lanchonete [2] et le bus repart, quasiment à vide. Notre incompréhension sera levée un peu plus tard, lorsque le bus s’arrêtera pour faire quelques réparations dans un garage puis … reviendra sur ses pas pour aller chercher le reste des voyageurs à la lanchonete. Nous avons donc loupé le petit-déjeuner.
Un peu plus loin, à Santana, nous devons acheter un billet pour un bateau qui traverse l’Amazone et qui dessert Belem. Le vendeur est difficile à comprendre et je manque cruellement de vocabulaire pour poser toutes les questions qui nous tracassent (« Est-ce que nous aurons une place réservée sur le pont ? » ; « Est-ce qu’il faut acheter un hamac ou est-ce qu’il sera déjà installé ? »). Devant l’absence de clarté des réponses, nous décidons d’acheter un hamac et c’était bien d’ailleurs ce qu’il fallait faire.
C’est pendant cette traversée en bateau que j’ai mes premiers contacts sérieux avec des Brésiliens. Dès le départ, je m’accoude sur le rebord du bateau pour regarder le port. Une petite dame, qui nous a aidé à installer nos hamacs, s’accoude à côté de moi et lance la discussion. « Tu [3] falas português ? » - « Um pouco. » Et elle se met à parler rapidement. Je la regarde parler, sans rien comprendre. Est-ce bien du portugais ? Je n’identifie rien qui me permette de saisir le sens de ce qu’elle me raconte. De temps en temps, elle me montre quelque chose sur le rivage en le nommant (un arbre ? une habitation ?). Je répète le mot scrupuleusement. Quand il y a des pauses, je suis très gêné : est-ce qu’elle attend une réponse ? Lorsqu’elle me regarde, je prends une expression perplexe pour lui montrer que je ne comprends pas. Non, je ne sais toujours pas dire « je ne comprends pas ». Je décide de résoudre le problème une bonne fois pour toute en consultant mon dictionnaire. Malheureusement, je m’embrouille dans mes conjugaisons et je ne retiens pas la bonne forme. Il me faudra bien dix jours avant de comprendre mon erreur et rectifier le tir.
De retour à mon hamac, j’ai une discussion assez longue avec ma voisine. Elle fait des phrases courtes, reformule quand elle voit que je ne comprends pas. Bref, je peux enfin dire quelque chose. Je me rends compte que mon vocabulaire est très limité et je passe mon temps à consulter mon dictionnaire. Qu’à cela ne tienne, je viens d’avoir ma première discussion en portugais et je suis un peu fier !
Le soir, nous allons prendre un verre au bar du bateau. On y croise un Français, très à l’aise, qui assume ne pas savoir parler portugais, mais qui se débrouille avec de l’espagnol. Il est entouré de jeunes brésiliens qui lui offrent des bières. Je tente de discuter successivement avec deux d’entre eux. C’est catastrophique, je ne comprends presque rien. Je décide d’en rire. À la nuit tombée, je me dirige vers l’avant du bateau pour contempler les étoiles. Un petit groupe y est déjà installé et je m’accoude près d’eux. Une femme décide de me parler. Je lui dis que je parle mal le portugais. Elle me fait quelques questions. Je ne comprends rien. Elle finit par simplifier à l’extrême : « De qual pais ? De qual cidade ? » (« De quel pays ? De quelle ville ? »). La discussion s’éteint d’elle-même devant mon incapacité à la comprendre. Je pense cependant avoir réussi à comprendre la dernière phrase : « comment tu vas faire à Belem si tu comprends aussi peu de choses ? ». Mais même pour celle-là, je ne suis pas très sûr. Je hausse les épaules et je retourne à mon hamac, très déprimé.
Dans les jours qui suivent, je n’aurais pas besoin de discuter avec qui que ce soit : nous sommes de simples touristes avec des besoins de touristes. Acheter de la nourriture, payer un hôtel, tirer de l’argent. Rien de très compliqué. Chose curieuse, dans un musée de Belem, nous découvrons que nous arrivons très facilement à comprendre tous les textes d’explication. Dans le même musée, un couple s’arrête à notre hauteur après nous avoir entendu parler français. Curieux, ils nous posent quelques questions sur notre présence ici. Je comprends tout ce qu’ils disent ! J’apprends qu’ils viennent de Rio de Janeiro et je reconnais l’accent utilisé dans mes leçons d’Assimil...
Sortir du marécage de l’incompréhension
La première étape, avant l’enrichissement du vocabulaire, c’est de repérer la construction de la phrase, et notamment le verbe. Le temps principalement utilisé est le prétérit parfait (équivalent de notre passé composé). « J’ai déjà mangé, j’ai allumé la lumière, as-tu acheté les billets ? » etc. Le futur se construit généralement avec le verbe ir (aller) suivi de l’infinitif. En dehors des auxiliaires et des verbes d’état (ser, estar, ficar, etc.), le présent n’est pas utilisé dans les conversations courantes. Une fois le verbe repéré, il est beaucoup plus facile de faire répéter le mot non identifié (et au besoin d’aller le chercher dans le dictionnaire). Autrement, on a l’impression d’entendre une espèce de bouillie de mots entremêlés, de patauger dans un marécage d’incompréhension.
Comme dans toute langue, on rencontre de nombreuses expressions idiomatiques. Dans un premier temps, il faut que l’interlocuteur comprenne que ces expressions (que les brésiliens appelent gírias) constituent un barrage et les mette de côté. Cet appauvrissement de la langue est indispensable pour le débutant que je suis. Il est bien souvent consenti de bonne grâce lorsque je dis « Eu não falo bem português. Pode falar devagar ? » (Je ne parle pas bien portugais. Peux-tu parler lentement ?). Tu fais un pas vers moi en apprenant ma langue, je fais un pas vers toi pour t’aider à progresser.
Petite anecdote en passant, à propos de ce « pas vers nous ». À Mariana [4], alors que nous pic-niquions sur une place, un groupe de jeunes élèves est venu à notre rencontre. À titre d’exercices, ils devaient réaliser des interviews des touristes du coin. Nous nous prêtons à l’exercice en leur demandant régulièrement de répéter leurs questions, de parler plus lentement. Bien sûr nous sommes un peu embêtés pour donner notre avis sur les décorations rócoco des églises mais qu’à cela ne tienne. Les élèves, en tâtonnant, finissent par trouver exactement le registre de langage et la vitesse d’élocution pour que nous puissions comprendre. Et puis, une de leur professeur les rejoint et souhaite prendre une photo. Quand elle apprend que nous sommes français, elle se met à nous parler … en anglais ! Et avec une certaine fierté en plus ! Un peu comme si l’anglais était la langue parlée par tous les touristes du monde. Elle pensait faire un pas vers nous mais elle est complètement passée à côté.
Avant d’arriver à Brasília, je me faisais plus facilement comprendre, que je n’arrivais à comprendre les gens. À partir de Brasília, où nous avons été hébergés en couchsurfing [5], la tendance s’est inversée et je me suis mis à comprendre bien plus de choses que je ne pouvais en dire. L’un des colocataires de l’appartement où nous étions logés, André, m’a pris en affection et a passé beaucoup de temps avec moi. Nous ne parlions qu’en portugais. Assez vite, il a voulu connaitre l’équivalent français des mots qu’il m’apprenait. À la fin, il avait appris à dire quelques phrases en français, et moi j’avais fait un bon en avant en portugais.
Un soir, il est parti pour aller prendre un cours d’anglais. À son retour, je lui demande en anglais pourquoi il veut apprendre cette langue. Il me répond avec une belle fluidité. L’échange se poursuit tranquillement, le temps pour nous de comprendre que nous pourrions nous entendre parfaitement et presque sans effort en parlant anglais. Ceci étant fait, la conversation redémarre en portugais et nous n’utiliserons plus jamais l’anglais. Ce soir-là, j’ai compris une chose décisive : le fait de découvrir la langue des autochtones est plus important que le fait de se faire comprendre et de pouvoir dire des choses complexes. En portugais, je ne peux dire que des banalités, mais le fait de chercher à parler la langue du pays constitue un authentique pas vers l’autre, qui en dit plus long sur moi que n’importe quel discours, même dans un anglais correct.
Allers et retours dans la langue
C’est à André que j’enverrai mon premier mail en portugais, quelques temps après avoir quitté Brasília. En post-scriptum, je lui demande de corriger mes fautes de portugais. Il me répond en me disant que mon portugais est déjà ótimo [6] mais qu’il a tout de même cru bon de corriger mon texte. Dans les dix lignes que j’ai écrites, il y a une douzaine de fautes...
Ma progression dans la langue n’est pas du tout linéaire. J’ai fréquemment l’impression de stagner et même de régresser. Certains mots que je pensais avoir assimilés la veille semblent avoir disparus au petit matin. Au bout de 5 semaines dans le pays, j’ai toujours l’impression de devoir faire de gros efforts pour comprendre et pour parler. Le plus gênant, c’est le manque de spontanéité : je suis parfois obligé de répéter plusieurs fois une même phrase dans ma tête avant de la dire. Et encore, j’ai des doutes en la disant : fallait-il utiliser le subjonctif ? Ce verbe se conjugue-t-il bien comme ça ?
Mon côté puriste a parfois des conséquences amusantes. Je soigne tellement mes questions que mon interlocuteur peut avoir l’impression de ne pas avoir affaire à un étranger débutant et répond rapidement, avec des gírias. Ce qui fait que si je pose trop bien ma question, je risque de ne pas comprendre la réponse.
Autre constat, les conversations quotidiennes me font progresser moins vite que mes leçons d’Assimil, aussi mauvaises soit-elles. Je continue donc à les apprendre quotidiennement. Au stade où j’en suis arrivé, j’ai besoin de fournir encore de gros efforts pour progresser ou simplement me maintenir à niveau. La simple fréquentation quotidienne de la langue n’est pas du tout suffisante.
Cela dit, je suis capable maintenant de comprendre un brésilien qui s’adresse à moi, quelle que soit sa vitesse d’élocution (par contre, je reste bloqué par les gírias et par mon manque de vocabulaire). Je peux relancer la discussion avec une question. Dans la ville de Mariana, nous avons visité un musée de la musique. Nous n’étions que deux visiteurs et la responsable du musée nous a longuement présenté la collection en portugais. Même si un mot m’échappait ici et là, j’ai pu globalement tout comprendre.
Je peux aussi détailler l’emploi du temps de ma journée à venir (ou de la journée passée). J’ai même réussi à lire un roman en portugais (bon d’accord, c’était un Agatha Christie...). Par contre, je ne peux toujours pas regarder un film brésilien sans sous-titres. Pire, je ne comprends pas ce que se disent les gens dans la rue. C’est à peine si je saisis quelques mots au passage...
Au bout de quasiment trois mois, je me sens suffisamment sûr de moi pour me lancer dans la narration d’anecdotes en portugais. Ça se passe à Foz do Iguaçu et je suis entouré de trois personnes qui ne parlent pas un mot de français. La question initiale qui nous est posée est : « Est-ce qu’il vous est arrivé quelque chose de drôle au cours de votre voyage ? ». Bien sûr, le récit n’est pas fluide et je dois réfléchir pour conjuguer mes verbes. De temps en temps, quand un mot me fait défaut, je le dis en français d’un air interrogatif. Si mon auditoire ne trouve pas d’équivalent, je consulte le dictionnaire. Bon an mal an, je finis par raconter trois petites histoires.
« Barrière de la langue » ?
Alors quoi ? Au vu des difficultés rencontrées et des efforts constants que je dois fournir pour m’exprimer et comprendre mon interlocuteur, il semblerait que le bilan de cette expérience linguistique ne soit pas très positif. Je me serais sans doute à peu près aussi bien fait comprendre avec un peu d’espagnol et un peu d’anglais. Certes. D’ailleurs, les Brésiliens rencontrés sont souvent surpris d’apprendre que j’ai commencé à apprendre le portugais en France, tout seul, et dans le seul but d’effectuer ce voyage. À quoi bon, n’est-ce pas ?
D’abord, il faut bien comprendre que nous n’aurions pas pu nous satisfaire d’un tourisme façon Club Med. Le Brésil est un pays magnifique, certes, et ceux qui ont vu nos photos savent que le simple contact avec la Nature mérite déjà le voyage. Mais on ne saurait prétendre découvrir un pays sans rencontrer ses habitants. Connaître un minimum la langue des autochtones est un prérequis pour aller à la rencontre de l’Autre. C’est aussi une importante marque de respect, une marque de modestie. Nous venons de France, où nous avions des salaires bien plus élevés que vous, où nous croulions sous les marques apparentes de modernité et de confort et où nous pourrions retourner sur un simple coup de tête, mais ici, nous ne sommes en rien supérieurs à vous, et nous apprenons votre langue, avec humilité et respect. Ce pas vers l’autre est d’ailleurs très souvent immédiatement apprécié. On me dit gentiment dès mes premiers mots que je parle comme un brésilien. Plusieurs de mes interlocuteurs ont dit apprécier, voire admirer la démarche.
L’apprentissage du portugais nous a ouvert les portes de deux pratiques touristiques : le couchsurfing et le wwoofing. Le couchsurfing consiste tout simplement à bouder les hôtels et à se faire héberger directement chez un habitant. En tout, au cours de notre séjour au Brésil, nous avons été hébergés 8 fois. Et bien souvent, c’était chez des gens qui ne parlaient pas français. Le wwoofing consiste à se faire héberger dans une petite exploitation agricole bio contre un peu de travail. Dans le cas du wwoofing, les repas sont offerts. Ces deux pratiques nous ont procuré des souvenirs bien plus forts que n’importe quel séjour en hôtel !
Le deuxième intérêt réside dans l’effort lui-même. Apprendre une nouvelle langue, c’est se dépasser soi-même, franchir une frontière symbolique. Les peuples sont bien mieux définis par leur langue et leur culture que par des limites géographiques arbitraires. À partir du moment où j’ai commencé à apprendre mes premiers mots en portugais, mon voyage vers le Brésil et les brésiliens avait déjà commencé.
En parlant de frontière, on dit d’ailleurs souvent qu’il existe une « barrière de la langue » pour le touriste qui s’égarerait en territoire étranger. Il faut avoir peu vécu pour ne pas se rendre compte à quel point ce terme est impropre. Une barrière se franchit ponctuellement, par un effort bref. Avant la barrière, on ne parle pas la langue de l’autre, après on la parle couramment. En réalité, même sans connaître aucun mot, on peut déjà communiquer (gestes, expressions du visage, etc.). Et il n’y a pas de limite à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Y compris de sa langue maternelle.
Lorsque, sur le bateau qui m’emmenait vers Belem, j’avais ma première discussion avec ma voisine de hamac, étais-je en train de franchir la « barrière » ? Était-ce plutôt à Brasília, où nous avons passés pour la première fois une semaine chez l’habitant ? Ou à Rio Pomba, où nous avons eu nos premières discussions politiques ? En réalité, à mesure que nous avançons dans le pays, je pénètre un peu plus dans la langue du pays. À moins que ce soit l’inverse. Sandrine aussi, même en dépit du fait qu’elle n’ait pas commencé à apprendre le portugais avant de partir, se laisse contaminer par cette langue nouvelle. Nos conversations comprennent de nombreux mots appris au cours du voyage. Par exemple :
On va se faire un solide café da manhã [7] avant d’aller à la rodoviária [8].
D’accord, on n’a qu’à aller acheter un suco de cajú [9] et des salgadinhas [10].
Et tout ceci, sem vergonha [11] ! Lorsque nous parlons français entre nous, il n’est pas rare de voir les brésiliens qui nous accompagnent hocher la tête avec un sourire pour nous montrer qu’ils ont compris, tellement notre français est teinté de portugais. Ajoutons que l’espagnol que Sandrine utilise ici lorsqu’elle ne peut pas faire autrement tire sérieusement sur le portugais. Elle parle donc un portugnol qui se serait transformé en portugais si nous étions restés un ou deux mois en plus. Là encore, le terme « barrière » est parfaitement inapproprié.
Non, il n’existe pas de barrière de la langue, si ce n’est celle qu’on se met nous même dans la tête. Mais je ne peux pas dire que l’apprentissage du portugais du Brésil s’est fait sans difficultés. Mais, faire des efforts, souffrir pour comprendre et se faire comprendre, c’est aussi ça l’aventure, non ?
Denis Raffin, le 6 novembre 2014
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[1] Ce qui, d’ailleurs, fera plusieurs fois réagir les brésiliens, qui me feront comprendre que, eux, ne parlent pas « brésilien » mais portugais.
[2] Petite boutique brésilienne à mi-chemin entre le restaurant et le fast-food.
[3] Dans mon Assimil, la deuxième personne n’est jamais utilisée... Ici, dans le Nord, elle est omniprésente.
[4] Charmante petite ville du Minas Gerais.
[5] C’est-à-dire gracieusement, chez des habitants volontaires. J’utilise cet anglicisme car c’est le nom du site internet qui permet de trouver des hôtes partout dans le monde. J’en reparlerai plus loin.
[6] Très bon.
[7] petit déjeuner
[8] Gare routière
[9] Jus de cajou
[10] Pâtisserie salée
[11] Sans honte, sans scrupule